L’œil dans l’objectif
On enregistre une température de cinq degrés au petit matin en sortant de la tente au bivouac d’Al Salamiya pour prendre la route en direction d’Al Hofuf, une cité bordant l’une des plus grandes oasis du pays et contenant trois millions de dattiers. Entre les deux, la distance totale à parcourir atteint quasiment 700 km, mais les pilotes s’expliquent sur « seulement » 299 km. Il est bien difficile de couvrir autant de terrain sans rencontrer la moindre dune en Arabie Saoudite, mais la portion du jour à été minime. Des vitesses de pointe autour des 150 km/h ont souvent été atteintes sur cette spéciale rapide, où « Nacho » Cornejo a pu montrer qu’il n’était pas uniquement un excellent navigateur, au point de prendre la tête du classement général motos. Le pilotage à très haute vitesse, c’est bien la spécialité de Sébastien Loeb, qui a orchestré aujourd’hui sa réapparition au sommet du classement de l’étape.
L’essentiel
Les rebondissements majeurs n’étaient pas programmés pour cette quatrième étape, ce qui n’interdit pas les performances de premier rang. Et celle réalisée par « Nacho Cornejo » se classe dans cette catégorie. La lecture ultra-rapide et surtout l’interprétation du road-book, c’est sa signature. Le Chilien a encore été au rendez-vous dans ce domaine, bien qu’il n’ait pas eu la charge d’ouvrir la spéciale après avoir pris le départ en 6e position. Mais le pilote Honda sait aussi ouvrir les gaz lorsque l’occasion se présente, et pas à moitié ! En rejoignant l’arrivée, il s’adjuge ainsi l’étape et prend la tête du classement général, profitant aussi de la double culbute sans conséquence dommageable de Ross Branch. Le Botswanais cède les trois minutes d’avance qu’il avait hier, et même une de plus. Demain en direction de Shubaytah, Cornejo devra se comporter en patron : la dernière fois qu’il a été dans cette position, il avait laissé échapper la victoire suite à une chute à 48 heures de l’arrivée sur le Dakar 2021.
Perdre le Dakar à deux jours de la consécration, c’est aussi arrivé à Sébastien Loeb, la dernière fois qu’il a mené le classement général, à l’époque dans une Peugeot en 2017 du côté de San Juan en Argentine. Le Français n’en est pas encore là, mais vient d’entamer tout doucement sa « remontada » en remportant l’étape d’Al-Hofuf. Les écarts réalisés n’ont pas fait voler en éclats la hiérarchie, mais il progresse dans un premier temps de trois rangs et pointe en 6e position à 23’50’’ de Yazeed Al Rajhi.
En parfaite maîtrise de son nouveau rôle de commandant en chef des Ultimate, le Saoudien n’a cédé qu’une grosse minute à Loeb. Il sera donc comme Nasser Al Attiyah (3e de l’étape à 1’22) lancé dès demain à la poursuite du meilleur pilote de rallye de tous les temps, mais sur le terrain qui leur correspond le mieux : les dunes de l’Empty Quarter.
Il y a gros à parier que l’océan de dunes n’enlèvera pas le sourire d’Eryk Goczal, qui s’adjuge aujourd’hui une quatrième spéciale en Challenger (voir perf du jour), mais la lutte s’annonce plus acharnée chez les petits cousins du SSV, où c’est le Portugais Joao Ferreira qui a été le plus rapide, sans toutefois faire de l’ombre à Gerard Farres au sommet du général.
Les camionneurs n’ont pas changé de patron, Janus van Kasteren signant même le meilleur temps pour la quatrième fois en cinq jours de course. Il n’a pourtant que 5’17’’ d’avance sur Ales Loprais au général, rien n’est joué.
La perf’ du jour
On le connait déjà rapide. À 18 ans, Eryk Goczal avait déjà remporté quatre étapes en T4 pour sa première participation au Dakar, s’imposant même au classement général sur un coup de théâtre dans la dernière spéciale. Cette année, il a tout simplement doublé son score en cinq jours de course, prologue compris, et caracole en tête de la catégorie Challenger avec une demi-heure d’avance sur… papa ! La menace existe bien, avec Mitch Guthrie pointé à 36 minutes et Austin Jones à 1h05’, mais la question de la stratégie se pose maintenant pour la jeune pousse polonaise. Prendra-t-il le risque de partir à la chasse aux médailles quotidiennes, où adoptera-t-il le profil du gestionnaire en vue d’un deuxième sacre consécutif qui lui tend déjà les bras s’il ménage son Taurus ? À suivre…
Le coup dur du jour
Dans le clan du leader du classement général Yazeed Al Rajhi, on a aussi deux bonnes raisons de faire la grimace. C’est d’abord le Hilux T1+ de Guerlain Chicherit qui a fait des siennes au beau milieu de la spéciale, avec une direction assistée en carafe. Dès lors, le Savoyard a été condamné à rouler au ralenti et à virer à la force des bras. Le débours est conséquent sur la ligne d’arrivée, avec plus d’une heure de retard sur Loeb. Ses espoirs de victoire sur le Dakar sont anéantis, bien qu’il puisse toujours tenter de réintégrer le Top 10 comme il l’a fait dans un contexte similaire l’année dernière. Ce ne sera même plus envisageable pour Seth Quintero, nouveau venu lui aussi chez Toyota et qui s’était montré dans le rythme pour exister au milieu des favoris jusqu’ici. Mais au km 216, l’espoir américain s’est arrêté avec un moteur cassé. Sans autre solution que d’attendre le camion d’assistance de son équipe pour se faire remorquer par la route jusqu’au bivouac d’Al Hofuf, Quintero devrait être sanctionné d’une vingtaine d’heures de pénalité. C’est exactement le genre de mésaventures qu’il a connues en catégorie T3, et sur lesquelles il avait rebondi en se lançant dans une razzia sur les victoires étapes. A toi de jouer, « kid » !
La stat’ du jour
- Ignacio « Nacho » Cornejo a remporté sa huitième étape sur le Dakar aujourd’hui, et participe en même temps à l’œuvre nationale puisque le Chili atteint maintenant le total de 74 scratchs remportés toutes catégories confondues, la série ayant été initiée par le regretté Carlo de Gavardo à son époque motard. Depuis, un autre Ignacio, Casale, s’est illustré en remportant le Dakar à trois reprises en quads, avec 23 spéciales gagnées sur son passage. Francisco « Chaleco » Lopez a une longueur d’avance et garde le statut de porte-drapeau, avec 11 victoires sur deux roues, puis 13 autres conquises depuis sa reconversion en SSV.
La réaction du jour
Yazeed Al Rajhi :
« On a pris la tête après 50 ou 60 km. Ça n’était pas facile d’ouvrir, mais on s’en est plutôt bien tiré… On a crevé entre le 150e et 180e km et fini la spéciale avec un pneu à 1.4 bar, mais cela ne nous a pas trop pénalisés. On a juste fait les derniers cent kilomètres un peu plus lentement pour assurer. Je suis prêt pour la suite. »
Mission 1000
Le projet HySE, pour Hydrogen Small mobility, a déjà accompli la performance de réunir les plus gros constructeurs japonais sur un même projet, à savoir Toyota, Honda, Kawasaki, Suzuki et Yamaha, pour concevoir un SSV fonctionnant uniquement à l’hydrogène, et dont ils présentent la toute première version sur le challenge Mission 1000. Ils l’ont confié à un duo composé de l’Américain Jamie Campbell et de Bruno Jacomy. Le pilote a connu quelques émotions aujourd’hui : « Sur cette étape il y avait près de 35 km de dunes, puis des portions un peu plus rocailleuses ensuite. C’était stressant parce que je suis débutant dans les dunes, mais heureusement Bruno est un très bon navigateur. Nous nous sommes tankés pendant 25 minutes puis on s’en est sortis. Nous n’avions vraiment presque plus de puissance en toute fin de spéciale et une alarme nous a obligés à sortir du véhicule juste après la ligne. Il a juste fallu attendre un peu et ça s’est réglé ».
Sur un air de classic
Carlos Santaolalla Milla, dauphin sur l’édition 2023, est à l’image de son Toyota HDJ 80 : indestructible. Aujourd’hui encore, il a résisté aux assauts de la Skoda d’Ondrej Klymciw sur lequel il reprend même un point supplémentaire au général. Une bataille chirurgicale pour ces adeptes du cadenceur, un instrument électronique leur permettant de connaitre leur avance ou leur retard par rapport à la moyenne exigée. Il en est certains qui tiennent à revivre les sensations des premiers Dakar, lorsque l’électronique n’avait pas encore envahi les habitacles, ni même les moteurs. François-Xavier Bourgois, de retour au volant de sa 504 Peugeot coupée, cette année enfin au point grâce au travail de Patrice Auzet son copilote, est de ceux-là. « FX » et Patrice roulent au « feeling », prenant les informations de leur vitesse au compteur et estimant sans assistance leur avance ou leur retard sur chaque section. Un art de vivre le rallye-raid plus classique que la musique qui les plaçait hier à la 25e position du général, bien au-delà des résultats obtenus lors des deux précédentes éditions par la voiture française à la robe italienne de haute couture. Comme quoi, une mécanique bien huilée et du jugement au doigt mouillé peuvent payer sur le Dakar Classic !
World Rally-Raid Championship
Les as du Dakar à la barre
Les dix quads engagés sur le Dakar ont signé pour le W2RC 2024. De premier chef, Laisvydas Kancius, vainqueur de la coupe du monde 2023. Le Lituanien a l’habitude de partir doucement, mais d’aller au bout de son engagement. Pour l’instant, le blondinet ne s’est pas encore invité sur le podium de la course. Quatre vainqueurs d’étapes se sont partagé ces honneurs. Le Brésilien Medeiros en tête, avec les deux premières journées à son actif. Les Argentins Moreno et Andujar, ainsi que Giroud, ont mangé le reste du gâteau, soit une étape chacun. Au général, l’Argentin est en tête. Le vainqueur du Dakar 2021 a toujours à cœur de renouer avec le succès sur le Dakar qu’il n’a plus terminé depuis son sacre. Finisher, Alexandre Giroud l’est depuis deux éditions, sur la plus haute marche du podium. Le Français vise le « hat trick ». L’Albicéleste, en tête du général, comme le Français qui accuse 21’24’’, jouent gros sur le Dakar. Cette pression pourrait profiter au Brésilien Medeiros, troisième à ce stade à moins de 3’ de Giroud. Cinquième du général à plus d’une heure et demie du leader, Kancius ne cédera pas à la pression que s’infligent les as du Dakar. La route jusqu’à Yanbu est encore longue dans une catégorie où la mécanique fait souvent la différence, notamment dans les dunes, au menu des trois prochains jours…
Communiqué Dakar