L’œil dans l’objectif
On joue en altitude sur la quatrième étape du Dakar, dont le profil ne descend jamais sous les 800 mètres et s’élève même jusqu’à 1300 mètres. La fraîcheur a accompagné les pilotes sur cette grande boucle de 425 km tracée à l’ouest de Ha’il. Les pluies de la veille ont sensiblement modifié la nature du terrain, mais pas la beauté des canyons et des plateaux visités sur la spéciale du jour. La navigation par endroits délicate faisait partie des enjeux, tout comme les dunes qui ont fait leur apparition en nombre au programme du jour. Ils ont été parfaitement appréhendés par Joan Barreda, tandis que Sébastien Loeb s’est imposé in-extremis devant Stéphane Peterhansel en autos.
L’essentiel
La chasse aux spéciales, c’est une spécialité à part qui demande, si ce n’est de la chance, au moins de l’opportunisme. Le scénario déroulé tout au long de l’étape du jour donnait d’ailleurs plutôt raison à Mason Klein, impressionnant depuis le début de cette 45e édition et à la hauteur de ses phénoménales promesses durant la majeure partie de la journée. Longtemps en position d’ouvreur, le kid s’est acquitté de la tâche comme un grand, signant les meilleurs temps intermédiaires avec autorité, sans doute ni complexe.
Mais à une cinquantaine de kilomètres de l’arrivée, l’Américain a été ralenti par un problème d’alimentation d’essence. Le contretemps empêche Klein d’empocher sa deuxième étape, mais sa 10e place du jour ne condamne pas sa position toujours avantageuse au général : 6e, mais avec seulement 10’05’’ de retard sur Daniel Sanders, toujours leader du général. Le malheur des uns fait le bonheur de « Bang Bang », qui empoche avec son orteil cassé la 29e spéciale de sa carrière et reste en embuscade pour tenter d’aller chercher pour la première fois une place sur le podium final… il lui reste encore 10 occasions de shooter.
Ce n’est pas fréquent pour le motard espagnol, mais il se montre cette année plus constant que Sébastien Loeb. Le pilote français a dans les bras le talent pour déposer n’importe lequel de ses rivaux de la catégorie autos. Il lui a fallu aujourd’hui des biceps gonflés à bloc pour aller chercher sa 17e victoire d’étape alors que sa direction assistée lui a fait défaut durant les vingt derniers kilomètres. En raison de ce coup du sort, le pilote alsacien n’a pu gagner que 13’’ sur Stéphane Peterhansel, leader déchaîné des Audi, et deux minutes sur Nasser Al Attiyah, leader du classement général. Mais à plein régime et dans un monde sans pépins mécaniques, Loeb a-t-il les moyens et la folie pour combler un retard de 93 minutes sur 10 étapes et près de 3000 kilomètres restant à parcourir ? Le défi un peu délirant mérite d’être tenté, pendant que se dessine un duel plus classique entre les deux tenants du titre, Al Attiyah (2022) et « Peter » (2021). Si le récital d’Alexandre Giroud se poursuit, avec une troisième victoire d’étape consécutive et une avance de 47 minutes sur Francisco Moreno au classement général, c’est bien plus mouvementé du côté des T3.
Après les déboires de « Chaleco » hier, c’est Seth Quintero qui a arraché une roue et s’apprête à dégringoler dans la hiérarchie pendant que Mitch Guthrie et Guillaume de Mévius, les deux plus rapides sur la première boucle de Ha’il, se lancent aussi dans un duel au général. Chez les T4, le benjamin du Dakar Eryk Goczal signe déjà son deuxième succès sur l’épreuve en battant Gerard Farres (voir la perf), et pointe au général en 2e position à moins d’un quart d’heure du Brésilien Rodrigo Luppi de Oliveira. Le gamin est bel et bien dans le coup. En camions, Martin Macik remporte une quatrième spéciale de l’année qui ne perturbe pas la progression contrôlée de son compatriote Ales Loprais en tête du classement général.
La perf’ du jour
On ne pouvait en douter, mais Eryk Goczal ne se contente pas d’être devenu à l’issue de l’étape 1 le plus jeune vainqueur d’étape de l’histoire du Dakar. Du haut de ses 18 ans et deux mois, le Polonais signe aujourd’hui sa deuxième victoire et se hisse sans rougir à la 2e place du général à moins d’un quart d’heure du leader. Depuis leur arrivée sur le Dakar en 2021, Marek et Michal Goczal, respectivement le père et l’oncle du prodige ne cessent de le répéter : quand Eryk aura son permis de conduire en poche, le meilleur des Goczal sera le plus jeune. Et ce n’était apparemment pas un effet d’annonce ! Ce soir, son paternel pourra se consoler de sa collision improbable dans les dunes avec l’Argentin de South Racing David Zille qui le relègue à près de 37 minutes de la tête de la course. Avec une demi-heure de retard pour Michal, c’est désormais sur Eryk que repose l’honneur de la famille qui avait raflé l’an dernier 8 étapes sur 12. Pour l’instant et grâce au fiston, les Goczal ont signé 3 étapes sur 5. L’objectif un peu fou de se placer tous les trois sur le podium à Dammam reste réaliste.
Le coup dur du jour
Joachim Rodrigues participait à son 7e Dakar d’affilée. On parle à l’imparfait car le pilote Hero Motosports est sorti du Dakar avec une fracture à la jambe au km 90 de la spéciale du jour. Son troisième abandon depuis 2017. J-Rod était le héros de la marque indienne, celui par qui était arrivé l’an dernier la première victoire de la marque sur le Dakar dans la 3e étape. Et les déconvenues se sont succédées pour Hero dans la foulée puisque Sebastian Bühler est tombé en panne d’essence avant que Ross Branch ne soit contraint de se livrer à une séance de mécanique sans fin. Seul Franco Caimi est passé au travers en terminant 17e à un peu moins de vingt minutes de Barreda. L’Argentin est 13e du général à 48 minutes de la tête de la course. La dernière chance de l’équipe de briller au général.
La stat’ du jour : 32
S’il se trouve en retrait au classement général depuis ses problèmes de freins dans l’étape 2, Martin Macik affiche son niveau de performance sur cette 45e édition, et remporte sa quatrième spéciale de l’année, qui s’ajoute aux trois succès précédemment acquis lors de ses huit premières participations en tant que pilote. La santé de la nation tchèque dans la catégorie est confirmée par la prestation d’Ales Loprais, qui domine le général et a remporté lui aussi une spéciale, celle de l’étape 2 justement. Au total, les pilotes tchèques ont remporté 32 étapes dans l’histoire du Dakar, le plus gros scoreur restant encore pour quelques temps Karel Loprais avec la moitié à lui tout seul (16) et surtout six titres au palmarès.
World rally-raid Championship
Comme l’an dernier, GasGas ne peut compter que sur un seul de ses pilotes pour remporter la première manche 2023. Cette année, c’est Sanders. Et malgré une journée moins consistante que les autres, il reste en tête du général. En Rally2, la succession ouverte de Mason Klein s’annonce sous les auspices d’un duel entre son dauphin Romain Dumontier (HT Rally Husqvarna Racing) et Paolo Lucci (BAS World KTM Racing) depuis la sortie sur blessure de Bradley Cox. C’est l’Italien qui s’est imposé aujourd’hui mais le Français conserve le général devant l’Italien. Chez les quads, la venue cette saison de Manuel Andujar, vainqueur du Dakar 2021, sème le trouble face aux habitués de la saison 1 Laisvydas Kancius et Pablo Copetti. L’Argentin mène actuellement le classement W2RC. Chez les autos, après la victoire d’étape hier de Chicherit, c’est au tour de Loeb de rebondir. Si sa victoire n’est qu’une maigre compensation en temps sur la tête du Dakar, elle lui offrira peut-être à Dammam 5 points qui pourront faire la différence. Peterhansel et Sainz, sur le podium du jour, eux aussi grapillent des points d’étape qui pourront changer la donne au moment de faire les comptes. En T3, c’est une OPA des cinq équipages de la « dream team » de Red Bull, qui occupent les cinq premières places du général. En T4, le numéro un mondial Rokas Bacisuka est pour le moment contesté mais reste sur le podium du provisoire, derrière Rodriguo Luppi de Oliveira et Eryk Goczal. Chez les camions Martin Macik s’est lancé dans une remontada. Le Tchèque a repris douze minutes sur son rival direct au championnat Janus Van Kasteren qui ne compte plus que 26 minutes d’avance. Il reste encore 30 journées de course au championnat 2023, rien n’est joué !
Sur un air de Classic
Juan Morera et Lidia Ruba ne doivent pas regretter d’avoir délaissé leur Fiat Panda de l’an passé pour se tourner vers un Toyota HDJ80 pour leur deuxième participation au Dakar Classic. Les Espagnols conservent la tête du général devant trois équipages Belges, eux aussi équipés de 4×4 de la marque japonaise engagés en H3, la moyenne la plus élevée. Demain matin, les concurrents des catégories plus basses du H0 et du H1, souvent des véhicules moins récents et donc moins performants, vont retrouver deux tests de régularité plus rapides où ils pourront mieux s’exprimer. Et l’après-midi ils reviendront au bivouac pour souffler et refaire une santé à leurs véhicules s’ils le souhaitent alors que les H2 et H3 devront s’infuser deux « dunes tests » de 40 km, soit la plus grosse portion qui les attend d’ici Dammam. Deux programmes aux antipodes !
La réaction du jour
Stéphane Peterhansel : « Comme un combat de boxe »
« C’est la première spéciale où on n’a pas de crevaisons, on a pu prendre notre rythme dès le début. Mais pour faire un temps il faut se faire mal, c’est un peu comme un combat de boxe : on saute sur les herbes à chameaux, on tape dans les dunettes, et si on ne fait pas ça, on ne fait pas de temps. Pour le corps, c’est un peu moyen. On a de bonnes suspensions, mais on ne peut pas faire de miracles, on prend beaucoup d’impacts. Tout ce qu’on a perdu les deux premiers jours, est-ce que ce sera rattrapable ? C’est toute la question. »
Martin Macik : « Le camion partait dans tous les sens au freinage »
Vainqueur de la quatrième étape, Martin Macik a repris neuf minutes à Ales Loprais malgré un camion ayant souffert dès les premiers kilomètres de la spéciale à la réception d’un saut. Le Tchèque compte désormais trente-neuf minutes de retard sur le leader du classement général.
« Comme on s’y attendait, on a eu droit aujourd’hui à beaucoup de sable avec des dunes très hautes difficiles à grimper qu’il fallait souvent contourner. Dès le vingtième ou trentième kilomètre j’ai sauté très haut gaz à fond et à la réception ça a tapé très fort. J’ai endommagé les suspensions avant et j’ai dû finir comme ça… C’était difficile car le camion partait dans tous les sens au freinage. On a ainsi perdu beaucoup de temps… »
Nasser Al Attiyah : « On a été rapides et nous n’avons pas fait d’erreur »
Quatrième de la première des deux boucles tracées autour de Ha’il, Nasser Al Attiyah n’a concédé que 2 minutes à Sébastien Loeb, le vainqueur du jour. Le Qatari demeure un solide leader au classement général avec 18 minutes d’avance sur Yazeed Al Rajhi.
« C’était une étape difficile avec beaucoup d’herbe à chameau et de hors-piste. On a crevé une fois et mais on a réussi à attaquer. C’était pour nous une bonne spéciale, on a été rapides et nous n’avons pas fait d’erreur. Mathieu a fait une bonne navigation… La quatrième journée est terminée, nous attendons maintenant la cinquième… »
Sébastien Loeb : « Je n’ai plus de direction assistée, plus de bras »
Vainqueur du jour mécontent à l’arrivée, Loeb souffre depuis trois étapes d’un problème mécanique quotidien. Mais même privé de direction assistée et donc les bras en compote, il ne les baisse pas pour autant.
« On a fait vingt kilomètres sans direction assistée à la fin. Je pense que l’on perd tout ce que l’on avait gagné, entre 5 et 10 minutes. On était à l’arrêt complet. Je n’ai plus de DA, plus de bras. On fait quand même le meilleur temps, mais c’est frustrant de terminer comme ça. La seule solution maintenant c’est d’attaquer en espérant que les autres aient des problèmes aussi et que ce ne soit pas que pour moi, mais cela fait trois jours de suite que ce n’est que pour moi. On a failli partir en tonneau et en tête à queue à plusieurs reprises à cause de la direction, la victoire du jour est une petite compensation. »
Etape 5
HA’IL > HA’IL
05/01/2023 – Étape 5
Liaison > 270 km – Spéciale > 373 km